Gérard Collomb

 

Merci à Yann d’avoir organisé cette rencontre proustienne et de nous faire remonter le temps jusqu’à cette Hypokhâgne de 1965-66. En lisant vos tronches de vie, je constate que beaucoup d’entre vous en gardent un souvenir mitigé.

Pour ma part, cette Hypokhâgne m’a beaucoup apporté. Venu de mon petit lycée de Chalon-sur-Saône, j’ai eu d’emblée l’impression d’arriver sur une autre planète avec des professeurs comme Debidour qui vous proposait un thème grec à main levée - je crus d’abord à une plaisanterie lors de sa première dictée - avec un Jean Lacroix dont le personnalisme chrétien  inspira une partie de ma pensée, avec un Rambaud dont le cours sur les idées politiques au  19ème siècle influença certainement beaucoup de mes choix futurs. Impressionné par nos profs, je l’étais aussi par vous, impressionné par votre culture : de Saint-John Perse à Claude Simon. Le spectacle de quelque spécimen khâgneux allant de sa salle de classe à la cantine, en marmonnant, les mains croisées dans le dos, pour se réciter en grec l’Iliade et l’Odyssée me semblait même relever de l’hallucination.

Dans le secondaire, j’avais été un bon élève  mais désinvolte. Je n’avais jamais été une bête de travail. Je découvris la joie de me lever au petit matin, de faire une toilette rapide à l’eau froide, au lavabo collectif, avant d’aller réviser grammaire grecque et latine.

J’eus l’impression d’apprendre beaucoup. J’en appris, en tout cas, assez, pour terminer  en roue libre jusqu’à l’agrégation, passée en 1970.

Poursuivant dans cette voie là, j’aurais dû, tout naturellement, m’orienter vers une carrière universitaire. Le hasard - l’histoire - en a décidé autrement. Ce fut Mai 68 ! J’ai aimé passionnément ce mois de mai. Non pas ses dérives gauchisantes, ses lanceurs de pavés mais le parfum de liberté qu’il y avait autour de ce mouvement, sa volonté de prendre en compte les changements de  la société, d’inventer, de créer, d’innover.

Avec quelques amis, je pris, à Lyon, la tête de l’aile réformiste du mouvement étudiant. Nous vécûmes ensemble des moments formidables où amitié et militantisme marquaient nos jours… et nos nuits.

Fin 68, le mouvement retomba ! Je n’étais guère prêt à rejoindre ceux qui continuaient inlassablement à préparer la prise insurrectionnelle du pouvoir : gauche prolétarienne ou ligue communiste révolutionnaire.

Sans doute parce que né d’un père ouvrier métallurgiste et d’une mère femme de ménage, je savais que la révolution prolétarienne n’était pas exactement ce dont rêvaient les milieux populaires.

J’avais, malgré tout, contracté le virus du militantisme. Aussi lorsque, début 69, un de mes amis me dit qu’il y avait du nouveau du côté de la gauche réformiste et qu’un nouveau Parti Socialiste allait se reconstruire, je décidai d’être de ce projet.

Il allait connaître bien des avatars, mais je poursuivis dans mon désir d’engagement et adhérai alors à la Convention des Institutions Républicaines.

Deux ans plus tard, c’était le congrès d’Epinay. Du jour au lendemain, avec mes amis, nous avons été projetés à la tête de la fédération du Parti Socialiste. Jusque là, la politique avait été pour nous un grand jeu, elle devenait un enjeu.

Nous, qui, dans la tradition de l’époque, avions une grande défiance à l’égard du jeu électoral, nous nous retrouvâmes candidats aux élections législatives de 73. Je fus, pour ma part, chargé de défendre les couleurs du PS, dans une circonscription des Monts d’Or ou le PS n’avait jamais dépassé les 10%.

Contrairement à toutes mes craintes de ne pas dépasser les 5%, seuil fatidique pour être remboursé de mes dépenses électorales pour lesquelles j’avais sérieusement écorné mes économies, j’obtins 41% au second tour.

François Mitterrand me demanda alors de m’investir sur Lyon, ce que je fis.

J’avais toujours pensé que le rôle de la gauche était de témoignage – la défense de la veuve et de l’orphelin - mais lorsque le 10 mai 81, le visage de François Mitterrand apparut sur les écrans, je compris désormais que nous étions responsables de l’avenir de la France.

Quelques semaines plus tard, je fus élu député. J’en conçus évidemment une joie immense mais elle fut de courte durée, car je compris assez vite que tout ne serait pas facile et qu’il y aurait quelques déceptions par rapport, « aux lendemains qui chantent », dont nous avions rêvé.

Je décidai alors de délaisser les manuels de grec et de latin pour ceux d’économie afin de me forger une opinion personnelle sur les politiques qu’il conviendrait de concevoir pour l’avenir de notre pays.

Il y eut les succès mais il y eut aussi les revers que la politique amène, où l’on est souvent le jouet, pour le meilleur ou  pour le pire, de forces qui vous dépassent.

En 1986, Charles Pasqua redécoupa ma circonscription. Je perdis en 1988 alors que la gauche remontait. Me souvenant que j’avais rédigé un mémoire sur l’influence du stoïcisme du temps des Gracques, - « νέχου κα πέχου - Sustine et abstine » et j’appris à supporter, pour reprendre un mot de Jacques Chirac, à « mépriser les hauts et repriser les bas ».

Battu en 1983 aux municipales, écrasé en 1989, je persistai. En 1995, une porte s’entrouvrit. La liste que je menais gagna 3 arrondissements. Je pus enfin passer de la théorie aux travaux pratiques, en remodelant  un arrondissement dévasté par les mutations industrielles.

Raymond Barre remarqua ce travail et travailla discrètement – je m’en suis aperçu depuis - à ce que je sois élu en 2001 Maire de Lyon.

Vous connaissez la suite !

Que dire de plus ?

Que j’aime passionnément notre ville, que je travaille à la développer, à l’embellir, à en résorber les fractures sociales qui sont bien souvent des fractures spatiales.

Une de mes plus grandes joies aujourd’hui est, que se soit ouverte à Vaulx-en-Velin, dans un nouveau quartier, la plus grande librairie de l’agglomération lyonnaise.

Pour concevoir l’avenir de notre ville, j’essaie de m’inspirer du meilleur de ses traditions ; de l’esprit de créativité de la renaissance lyonnaise, de son mouvement ouvrier lyonnais : proudhonien, saint-simonien ou fouriériste, utopiste et gestionnaire à la fois, de la grande tradition radicale lorsque Edouard Herriot voulait bâtir un nouveau Lyon avec Tony Garnier, d’un certain catholicisme lyonnais prenant conscience de l’immense misère qu’avait fait naître la révolution industrielle.

Vous dire que sur le plan national, j’espère toujours un Parti socialiste plus ouvert aux réalités nouvelles, capable d’inventer la société du 21ème siècle.

Vous dire enfin que la vie politique ne m’a pas empêché d’avoir une vie affective que je qualifierais de riche, avec deux grands enfants, (garçon et fille de 36 et 34 ans), un fils de 13 ans et enfin deux petites filles de 5 ans et 2 ans que j’ai eus avec ma deuxième épouse, un peu plus jeune que moi.

Je me fais une joie de vous revoir.

J’ai pu constater la diversité de nos parcours.

J’espère qu’elle fera la richesse de notre rencontre.