Guy Marconnier

 

Cette année d’hypokhâgne a été pour moi la fin et non le début d’une époque. Est-ce nécessaire d’écrire sur la fin de quelque chose ? N’est-il pas plus charmant de peindre un commencement ? C’est pourquoi j’ai hésité à écrire ces quelques lignes. J’avais peur de détonner dans un concert de joyeux souvenirs.

Et puis baste ! La fin d’une période est le début de la suivante. Allons-y donc !

Une classe d’hypokhâgne est une association de bons élèves, et je devais avoir l’air d’en être un, en 1965, en ce début d’année scolaire. Mais la confrontation avec tous ces bons (meilleurs) élèves m’a fait prendre conscience de ma vraie personnalité. Je n’étais pas un véritable bon élève, j’étais un mauvais élève contrarié. La pression de l’entourage, le jeu de la compétition, m’avaient poussé à entrer dans la peau d’un  premier de la classe. Le lycée du Parc fut mon chemin de Damas. Moi qui détestais le sport, la vue de la troupe immense des dispensés de gym me rendit sportif. J’avais autrefois de bonnes notes en latin, je m’aperçus que je détestais les langues mortes. L’histoire n’éveillait guère mon intérêt, la philosophie m’assommait. La philosophie ou plutôt le ronron soporifique de Jean Lacroix en train de lire mot à mot ses vieilles notes jaunies et poussiéreuses. Mes seuls plaisirs furent les cours de Debidour et de pouvoir progresser en anglais. Plus l’année s’écoulait et plus je faisais des plans d’évasion. Je me demande encore comment j’ai tenu jusqu’au mois de juin.

Quel bonheur de trouver à la rentrée suivante, quai Claude Bernard, la foule anonyme des mauvais élèves dans laquelle je me suis glissé avec délices ! J’ai découvert ensuite que, dans ce paradis, on pouvait même se faire offrir une licence en bonne et due forme, sans jamais y mettre les pieds (licence qui ne m’a bien sûr servi à rien du tout). C’était mieux que le paradis, c’était le début des très grandes vacances, celles qui ont duré jusqu’à aujourd’hui et qui dureront encore longtemps j’espère. Pendant ces quarante années de vacances, j’ai réalisé ou (et) photographié plus d’un milliers de films documentaires dont une vingtaine au moins sont tout à fait visibles. Je me suis marié avec une femme que je trouve adorable encore aujourd’hui et j’ai deux fils trentenaires qui se sont sagement orientés vers le cinéma, la littérature, le théâtre et la musique. Je goûte particulièrement la compagnie des animaux et je vis dans un mas de Petite Camargue avec deux chiens, quelques chevaux, à deux pas des plus grandes arènes françaises et de l’Espagne pour satisfaire ma passion tauromachique.

Les dures années de labeur, celles qui ont commencé dans une petite école maternelle pour se terminer avec vous tous, dans cette f… année d’hypokhâgne, ne sont maintenant qu’un mauvais souvenir. Pourtant, il m’arrive encore de frissonner d’une angoisse rétrospective à l’idée d’avoir échappé de si peu à la malédiction divine du travail. Je suis heureusement à l’abri, définitivement, et j’attends donc sans inquiétude l’heure de la retraite.