Guy Maréchal

 


À mon retour à Perrache je retrouvais par un divin hasard celle qui avait été une petite amie d’enfance quand j’étais en quatrième. J’étais aussitôt pris dans les liens du mariage. Mon épouse avait épousé les voyages, j’ai décidé de quitter les cours que je suivais à la Sorbonne pour préparer l’agrégation et suis donc devenu steward à Air France. Six années de vagabondages. J’ai adoré cette vie faite d’équipages éphémères et de bouts du monde. Cependant je me mettais cette fois sérieusement aux études. J’acquérais — ou croyais acquérir, car la connaissance n’est pas dans les facs — deux spécialités de Panthéon-Sorbonne (Paris I) : le droit bancaire et le droit international. Mais le droit ne m’intéressait pas en tant que profession. J’y voyais confusément le moyen de comprendre le monde. Air France n’ayant vu dans mes études aucun moyen de m’intégrer j’entrais dans la banque. J’y suis resté 15 ans. J’ai vécu la banque, qui alors était universelle, comme une ruche où des abeilles laborieuses, dont j’étais, faisaient leur miel de « Big Mama’ » et à travers elle de l’économie. J’œuvrais à Paris où je butinais d’agences en agences mais restais calé en France ce qui ne me convenait pas. Un grand directeur bien intentionné a voulu faire avancer ma cause en me faisant nommer aux affaires juridiques de la direction générale car il fallait le label de la direction générale pour gagner le large. Ce fut un passage éprouvant. Je n’étais plus dans la vie. Toutefois j’accédais au bout de 3 ans aux affaires juridiques internationales. Pour l’occasion je faisais refaire mon passeport. Erreur ! en deux ans je n’ai jamais voyagé : le droit français ne voyage pas. La banque resserrait alors ses réseaux. J’ai perdu espoir d’être nommé à l’étranger, je suis donc devenu avocat. Je n’en dirai pas plus pour ne pas trahir le secret que m’impose cette profession. J’ajouterai néanmoins que je m’intéresse aux financements de projets internationaux et poursuis donc mon chemin dans une certaine cohérence qui me conduit à aller vers cet « étranger » qui est le seul à nous enrichir.


Sans rien trahir, je puis vous dire que j’ai la même épouse, trois filles, deux gendres, cinq petits enfants. Ma fille aînée a eu la bonne idée d’épouser un Lyonnais qui habite le 6ème ce qui fait que je passe désormais devant le Lycée du Parc en trottinette accompagné de mes gones ! quel fabuleux destin… J’ajoute que mon gendre lyonnais est fan de l’OL et que je salue Collomb à distance quand la télévision me permet de l’entrevoir (si je ne m’abuse on s’appelait par nos noms de famille).


Je crois aux beautés créatrices de l’homme dans tous les domaines. Oui, Achille avait raison de nous l’apprendre : A thing of beauty is a joy for ever. Et dans ces choses de l’homme, il y a sans doute les mots et les sons. Son enseignement portait sur la richesse des mots qu’il faisait sonner chacun au plus juste avec gourmandise. J’entends encore sa voix. Alors ? la poésie ? Je comprends intuitivement la démarche de Castellin dont l’internet m’apprend qu’il veut en percer le mystère. C’est l’assemblage des mots qui fait problème. Une parole de trop et on a tort. Et c’est la guerre ! Barenboim en sait quelque chose. Je privilégie donc la musique, comme ce concerto pour piano n°3 de Beethoven que j’écoute en vous écrivant. La musique, et le vent dans mes voiles… Ah, Saint-John Perse !

Je tiens à quai au Havre un voilier et une trompette. Je vous y attends pour de nouveaux départs.

Merci à Gérard pour sa délicieuse invitation.


7 février 2010

Chers amis,


Je vous écris de la latitude 48°33’43’’ Nord et de la longitude 2°18’37"Est. À vos cartes !


J’ai atterri au lycée du Parc sans raison précise. J’étais je crois plutôt bon élève au lycée Jean Perrin et il devait déjà y avoir de toute façon des quotas pour les moins bons… J’ai appris à traverser avec insouciance l’épreuve difficile de l’ignorance. J’avais très peu lu ayant passé le plus clair de ma jeunesse à jouer au foot sur la place de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or plutôt qu’à lire. Dès le premier jour j’ai compris que je n’étais pas à ma place. Je me rappelle ce premier jour avec Debidour où il nous demandait nos lectures en fait de premier devoir ! J’ai été refait. J’ai copié consciencieusement les cours du Böl, que je garde encore. J’en ai retenu que la vérité était entre" les êtres de sorte que personne ne pouvait prétendre la détenir sinon très partiellement. Je m’en suis arrêté là. J’ai aimé par-dessus tout Achille : « it is good and hot » qu’il traduisait par « c’est bon parce que c’est chaud ». Il y avait dans cette traduction mémorable digne de Saint Anselme toute l’efficacité de la langue anglaise qui ne s’embarrasse d’aucune explication et fonce dans le présent. J’ai donc fait des études anglaises. En 1968 je jouais au cricket. Je revois encore la jubilation avec laquelle les Anglais contemplaient le bordel dans lequel se démêlait la France ! Autant dire que l’esprit révolutionnaire ne m’a pas gagné.