Michel Cordier

 

* (voir infra)

Cédant aux pressions venues jusque de Pennsylvanie c’est-à-dire de nulle part, je m’exécute sommairement en quelques tronçons de vie. À défaut d’une rhapsodie in blues qui eût été un hommage à mon parrain babillard Louis-Thomas Achille, je vous présente une petite fatrasie à la fois elliptique et farcie de citations, jeux de mots et allusions.

Il me faut d’abord invoquer St Expedit qui, bien que frappé d’inexistence par Pie XI, continue d’écraser du pied le corbeau qui crie : cras ! cras ! — Mais j’ai toujours rendu ma copie au dernier moment.

Yann Richard met-il en rapport Saint-John Perse et sa vocation iranienne ? Moi je me sens lié à mon nom, moins par la corde raide que par la gorge nouée, nœud gordien jamais dénoué ni tranché. Salut à Mallarmé, mort d’un spasme glottique. Voir aussi l’obscur hôte des enfers nommé Oknos.

Bon élève en latin et en grec, ça ne m’a pas suffi pour intégrer Ulm, où j’ai été biadmissible. Ayant trop sacrifié à Vara, je ne hululerai pas de vide nénie, mais : Rends-moi mes dix-huit ans, Vara aux yeux perçants et hublotés, qui m’as fait les miens glauques, — et même morts, me dit alors méchamment une jeune fille.

En me dédicaçant ses Grenouilles d’un flatteur « helléniste d’avenir », VHD nota l’ambiguïté de la formule, qu’il souligna de son petit rictus caractéristique, quasi beckettien. (Tous en chœur avec moi : ) Brekekekex koax koax !

Un jour, à la librairie d’en face, sustuli un livre de Char, je l’ouvris et legi la phrase, étrangement déjà cochée au crayon: « Serre ton bonheur et va vers ton risque, à te regarder ils s’habitueront. » Mais je laissai plutôt Char à Philippe Castellin et je me convertis à Ponge, dont j’aime toujours le va-et-vient entre mots et choses et le français réenraciné dans le latin.

J’ai pris plaisir à lire en grec intégralement l’Iliade et l’Odyssée pour préparer un DEA sur les épithètes homériques, au terme duquel Jean Pouilloux me laissa entrevoir un poste de maître-assistant à Clermont-Ferrand. Plaisir moindre, l’année d’agrèg, d’écouter parler de Marivaux au fond d’une cave. Et déception l’année de stage d’agrèg, où je découvris que je n’avais guère la fibre pédagogique ni relationnelle : j’ai de fait été moins souvent en phase avec mon métier qu’en porte-à-faux voire à contre-emploi, surtout au lycée.

Je décanillai au Maroc comme VSNA. Après deux ans au lycée français, j’enseignai de 1974 à 1985 au Centre Pédagogique Régional de Marrakech, où des instituteurs marocains venaient se recycler pour remplacer les coopérants français en collège. Occasion pour moi de m’autoformer à la linguistique structurale, puis énonciative quand je préparai une thèse de linguistique sur les adverbes de modalisation, soutenue à Lyon en 1981. Depuis le Maroc ma dominante d’enseignement et de recherche personnelle sera, autant que possible, la langue.

J’ai vécu le Maroc comme une ouverture. Innâ fataḥnâ laka fatḥan mubînan (Coran, sourate al-fatḥ, verset 1) : « oui, nous t’avons donné une éclatante victoire », littéralement « ouverture » d’un espace de conquête, comme la sourate al fâtiḥa « ouvre » le Coran.

Ouverture donc à la langue arabe et aux arêtes vives de ses racines trilit(t)ères, comme FTḤ ; et au Coran que, par une sorte de résurgence, je m’occupe aujourd’hui à étudier de temps en temps.

Ouverture aux grands espaces de l’Atlas parcouru à pied, à vélo ou à ski. Jusqu’à présent je joue à être ce Sisyphe heureux qui monte boustrophedon les pentes alpines et les dévale en paraphes éphémères – je vais aussi skater à dix minutes de chez moi.

Simple mot rencontré dans Virgile, je cueillis réellement l’arbouse près de Marrakech, et je goûtai à d’autres plus savoureuses pommes d’Hespérie. Ouverture amoureuse. Couchée au pied de l’Atlas, Marrakech est l’inverse de la New-York célinienne « pas baisante du tout ». L’Eden, mais après ? Mes fiançailles restèrent inabouties, comme le reste.

A mon retour en France l’affaire importante fut ma vie commune et mon mariage avec Isabelle, dont je me suis malheureusement séparé il y a près de dix ans, et depuis lors ma vie sentimentale est disons en dents de scie. Père tardif, j’ai un fils nommé Thomas qui est en première année de licence à la faculté des sciences de Lyon.

Je cite pour mémoire mes postes successifs : E.N. d’Instituteurs devenu centre IUFM de Haute-Savoie de 1985 à 1994 ; puis retour à Marrakech pour deux ans en prépa scientifique (1994-1996) ; lycée de Rumilly (1996-1998) ; Université de Polynésie (1998-2002) comme PRAG à tout faire y compris le latin ; lycées d’Évian (2002- 2005) et d’Albertville (2005-2007).

J’ai bien aimé la Polynésie, à la fois attirante et irritante, ce que j’ai exprimé dans un petit texte intitulé « Hécatombe à Hinano », du double nom de la marque de bière locale et de la déesse lunaire Hina. Juste pour rappeler mon besoin d’intercesseurs ou de divinités à adorer ou exécrer : actuellement, ce serait Témesta.

J’adhère à l’Association France-Palestine Solidarité : je n’ai jamais été engagé politiquement, mais là, j’ai eu honte de l’incroyable complaisance et complicité de la France sarko-socialiste envers l’État voyou d’Israël.

Pour en venir enfin à notre réunion, s’agira-t--il d’un sumposion peri erôtos ou d’agapes de Samedi Saint ?


* Pour légender Michel portant l’archange, j’avais cru pouvoir reporter la formule apportée par le porteur du support sacré lui-même : « iconodule et egolâtre ». L’idée était de moi, je la retire. YR