François Pignaud

 

Chers amis,


Permettez moi, pour ces retrouvailles, de m’adresser à vous directement et non sous la forme d’une « dissertation », exercice que je ne pratique plus depuis longtemps (ni pour en écrire, ni pour en corriger) et qui m’évoque des angoisses de page blanche et de remise hors délais.


Merci à Yann Richard de nous donner, grâce à son initiative, l’occasion de revoir sur la photo de classe nos visages encore adolescents, avec la perspective prochaine de découvrir, avec une curiosité sympathique, ce qu’ils sont devenus quarante cinq ans après.


Le premier souvenir que je garde de cette année d’hypokhâgne, passée en internat, est paradoxalement une impression de liberté, que certains d’entre vous trouveront peut-être saugrenue en repensant aux contraintes du travail scolaire et d’une discipline traditionnelle, antérieure à soixante huit. Pourtant, c’est bien ce que je crois avoir ressenti en me retrouvant pour la première fois hors du cadre familial, au milieu de camarades très divers  entre lesquels régnait généralement une bonne entente. La  pression de la compétition et des résultats restait modérée. Nos « maîtres » étaient bienveillants (il est vrai que nous étions peu contestataires).

Nous étions encore à l’âge où nous pouvions penser et dire tout et n’importe quoi, y compris des bêtises, sans que cela portât* à conséquence.


Moi qui ne connaissais que le charme très discret de ma petite ville, Roanne, j’ai aimé vivre à Lyon, même enfermé la plupart du temps entre les murs du Lycée du Parc. Les sorties en ville avaient d’autant plus d’attrait qu’elles étaient accordées avec parcimonie par l’administration. Je suis resté attaché à cette ville, que je trouve belle. Je me souviens aussi du plaisir de quelques soirées au Théâtre de la Cité à Villeurbanne.


L’autre grand souvenir de cette période est  l’empreinte indélébile d’une formation entièrement vouée aux humanités classiques, qui, se perpétuant depuis des lustres, semblait à l’abri de l’agitation et des changements du monde et dont, à l époque nous n’entrevoyions pas la possibilité d’un déclin. J’ai lu depuis des témoignages d’anciens élèves nous ayant précédés dans cette classe faisant état de la même expérience et du même mode de vie (notamment dans les Mémoires, de J-F Revel, pensionnaire au Lycée du Parc au début des années 40 et dont les professeurs étaient pour la plupart les mêmes que les nôtres.).

Si je m’interroge maintenant sur ce que j’ai conservé de cette formation, qui m’a ensuite peu servi pratiquement dans ma vie professionnelle, c’est sans doute un certain esprit critique, grâce à la multiplicité des références qui nous ont été transmises, et la capacité de distinguer, dans la vie culturelle et les débats d’idées,  ce qui est authentique et consistant de ce qui relève de la mode et du marketing,


Comme j’avais toujours été intéressé par les questions économiques, sociales et politiques, j’ai suivi à l’ENS d’Ulm, que j’ai intégrée en 1967, parallèlement à des études d’histoire, une formation de sciences économiques. Il s’agissait à l’époque d’une nouvelle filière de l’ENS qui s’est depuis, je crois, développée. Après une maîtrise d’économétrie, je pensais poursuivre dans la voie universitaire en préparant une thèse qui m’aurait permis de me présenter à l’agrégation de sciences économiques de l’enseignement supérieur (à l’époque, elle n’existait pas encore pour le secondaire). Mais après une courte expérience d’enseignement, je me suis aperçu rapidement que les débouchés universitaires s’étaient raréfiés après les créations de postes du début des années 1970.

En 1974, j’ai décidé de changer d’orientation en me faisant embaucher par une banque comme économiste et j’ai poursuivi dans ce secteur en occupant diverses fonctions qui m’ont mené à la responsabilité d’un service d’études financières et industrielles.

Vous imaginez bien qu’il s’agit d’activités peu propices à la fantaisie et à la créativité. Heureusement, pour compenser l’austérité de cette vie professionnelle, j’ai épousé une artiste, qui peignait et créait des bijoux. Elle est morte d’un cancer il y a un peu plus d’un an. J’ai deux fils et un petit fils, qui habitent comme moi en région parisienne.


J’organise maintenant ma vie de retraité en me partageant entre Paris, l’Allier (en montagne bourbonnaise) d’où ma famille est originaire et l’ile de Noirmoutier en Vendée où j’ai une maison.    


J’espère que nous serons nombreux à nous retrouver le 3 avril. En regardant la photo de classe, je me suis rendu compte que, malgré la brièveté de cette période de vie commune et du caractère plus ou moins proche de nos relations d’alors, j’avais conservé des souvenirs assez précis de la plupart d’entre vous et que j’aurai grand plaisir à les faire revivre lorsque nous serons ensemble.

  

Amicalement


François Pignaud

 

*  L’usage (approprié je l’espère ) de l’imparfait du subjonctif est un des grands acquis de mon passage par l’hypokhâgne.